Image dégueulasse, sans
artifices. Filmées en 35mm, caméra à l'épaule. Lumière
naturelle, scènes improvisées. Pour son second long-métrage, le
cinéaste américain Harmony Korine s'impose les limites édictée
par le Dogme95 créé par Lars von Trier et Thomas Vinterberg. Des
contraintes artistiques drastiques opposant un style cru et réaliste
totalement contraire de l'approche outrancière des superproductions
anglo-saxonnes. Le style peut agacer mais bon sang, que Julien
Donkey-Boy est réjouissant. Harmony Korine n'a pourtant pas
eu d'effort particulier à fournir pour se plier aux exigences du
Dogme95 puisqu'il ne fait qu'affiner une attitude qu'il peaufinait
déjà deux ans auparavant avec son premier effort, Gummo.

Julien, lui, est schizophrène. Porté par sa sœur qui lui voue un
attachement sans égal, le jeune garçon fréquente une institution
pour aveugles et consacre une partie de son temps à Dieu. Perdu dans
ses pensées, Julien est un être solitaire qui divague et tient des
propos souvent incohérents. Afin d'incarner ce rôle délicat,
Harmony Korine fait appel à l'acteur britannique
Ewen
Bremner. Celui qui se fit connaître grâce au Trainspotting
de Danny Boyle trois ans plus tôt ne fait pas qu'interpréter le
rôle-titre. Il ne fait d'ailleurs pas que l'incarner : il EST
Julien. Totalement habité par son personnage, il faut presque
obligatoirement connaître Ewen Bremner l'acteur pour imaginer un
seul moment qu'il puisse s'agir d'un véritable acteur et pas
seulement d'un individu atteint de schizophrénie que le cinéaste
aurait rencontré et engagé sur le tournage de son second
long-métrage.
De
bout en bout, Julien Donkey-Boy
véhicule
une émotion sans égale. Du malaise que la rencontre avec des êtres
différents pourrait générer chez certains d'entre nous jusqu'à
l'admirable interprétation de son principal interprète, le film
d'Harmony Korine porte en lui une poésie naïve et troublante et
les germes d'un cinéma-vérité sans concessions. Sorti des
contingences esthétiques de la majorité des productions actuelles,
il n'en surgit alors que l'essentiel : La substantielle moelle
de ce qui fait de certains GRANDS films, des CHEFS-D’ŒUVRE
intemporels. Julien
Donkey-Boy est
l'exemple même du long-métrage que l'on rejette en bloque ou que
l'on honore des superlatifs les plus élogieux. On ne peut toutefois
demeurer insensible devant la tragédie qui touche cette famille
d'américains moyens auquel le cinéaste rend un hommage beau et
cinglant à la fois...