On ne reviendra jamais
assez sur la richesse des dialogues des œuvres écrites ou réalisées
par le dialoguiste Michel Audiard. Un apport considérable dont
certains cinéastes se sont empressés de copier le style sans pour
autant jamais être parvenus à l'égaler. Si sa collaboration avec
Jean-Marie Poiré peut sembler ici étonnante, il faut savoir que les
deux hommes n'en furent pas à leur coup d'essai puisque ce dernier,
bien avant d'écrire et de réaliser sa toute première comédie Les
petits câlins
en 1978 débuta dix ans en arrière en participant l'élaboration de
scénarii et l'adaptation d'une bonne partie des films réalisés par
Michel Audiard lui-même. Faut pas prendre les
enfants du bon Dieu pour des canards sauvages
en 1968, Elle boit pas, elle fume pas, elle
drague pas, mais... elle cause!
En 1978, Le cri du cormoran, le soir au-dessus
des jonques
en 1971 ou encore Comment réussir... quand on
est con et pleurnichard !
Autant dire qu'on pouvait attendre beaucoup de la part du duo et
notamment de celui qui plus tard sera l'auteur du Père
Noël est une ordure en
1982, de Mes meilleurs copains
en 1989 et quatre ans plus tard du premier des quatre volets de la
franchise Les visiteurs.
N'étant ni l'un ni l'autre chargé de la mise en scène de Est-ce
bien raisonnable ?,
la charge revient au cinéaste Georges Lautner qui avant de signer
cette œuvre nettement plus anecdotique réalisa quelques classiques
du cinéma français comme, Le septième juré
en 1962, Les tontons flingueurs
en 1963 ou encore Ne nous fâchons pas
et La grande sauterelle
tout deux signés en 1966. Alors, un tiercé gagnant, Est-ce
bien raisonnable ?
Et bien en fait, pas vraiment. On peut dire sans rougir que le niveau
a malheureusement et drastiquement baissé depuis les débuts de leur
collaboration. Et si ce n'était l'étonnante rencontre entre Gérard
Lanvin qui allait connaître très bientôt une rapide ascension et
Miou-Miou que Georges Lautner avait déjà engagé sur les plateaux
de Quelques messieurs trop tranquilles,
Pas de problème !
et On aura tout vuen
1973, 1975 et 1976 et à laquelle Bertrand Blieravait
offert le rôle de Marie-Ange dans son film culte Les
valseuses
en 1974, Est-ce bien raisonnable ?
n'aurait quasiment aucun intérêt.
La
faute à un scénario relativement faiblard qui partait pourtant sur
de bonnes bases. En effet, après s'être introduit
dans le bureau d'un célèbre juge lors de son évasion d'un palais
de justice, la présence en ces lieux de Gérard Louvier (Gérard
Lanvin) cause un quiproquo lorsque Julie Boucher (Miou-Miou le
confond avec le juge Simon. La jeune journaliste est montée à Paris
afin de rencontrer ce dernier pour lui demander de l'aider dans son
enquête s'agissant d'une sinistre affaire. Louvier profite de
l'occasion pour monter à bord de la voiture de la jeune femme et
ainsi échapper à la justice. Direction Nice où Julie retrouve son
compagnon Daniel qu'incarne à l'écran Henri Guybet. Un homme
quelque peu jaloux qui tend moins la main pour faire l’aumône que
pour gifler la jeune femme qui s'énerve après l'avoir surpris au
lit avec une autre... Viennent se greffer au récit, l'ancien amant
éperdument amoureux, dépressif, interprété par Jean-Pierre
Darroussin, Michel Galabru dans le rôle d'un huissier, Julien
Guiomar dans celui de Raymon Volfoni, un complice de Louvier, mais
également Renée Saint-Cyr dans le rôle d'une Veuve, actrice qui
n'est autre que la mère de Georges Lautner ! Si les premières
minutes sont plutôt plaisantes, au fil du récit cela se gâte. Le
scénario tourne en boucle et surtout, la vervehabituelle de Michel
Audiard est souvent absente.Mis en scène avec mollesse de la part du
réalisateur, laquelle déteint sur une grande partie de
l'interprétation, Est-ce bien raisonnable ?
est non seulement une œuvre mineure dans la carrière de son auteur
et de ses interprètes mais aussi dans la vaste étendue des comédies
qui furent avant, pendant et après, réalisées sur notre
territoire. Le pire, c'est que le film aurait pu se contenter de ne
pas excéder les quatre-vingt ou quatre-vingt dix minutes mais il
frôle presque les deux heures. De quoi, dans le meilleur des cas,
s'ennuyer ferme et dans le pire, faire une sévère indigestion.
Bref, pas de quoi sauter au plafond. Tout juste de quoi rattraper
quelques heures de sommeil.