Réalisé par le cinéaste
japonais Gakuryū Ishii et co-écrit en compagnie du scénariste
Yorozu Ikuta, Enjeru Dasuto
est l'une de ces œuvres qui ne laissent pas indifférent. Un
thriller dont la base scénaristique est commune à bon nombre de
longs-métrages mettant des enquêteurs de la police locale face à
un tueur insaisissable mais qui dans le cas présent prend l'allure
d'une véritable expérience sensorielle. Comme si, aux États-Unis,
Jonathan Demme, David Fincher et David Lynch avaient signé un
contrat pour tourner un film en commun. Employant, pour l'un comme
pour les autres, des idées et un sens artistique qui leurs sont
propres. Effectivement, Enjeru Dasuto paraît
d'emblée de facture très classique. Le docteur Setsuko Suma
(l'actrice Kaho Minami), spécialisée dans la psychiatrie
médico-légale est chargée par la police métropolitaine de Tokyo
d'enquêter sur une étrange série de meurtres commis dans le métro
et dont toutes les victimes sont des femmes. Dotée d'une capacité
hors du commun à se fondre dans l'esprit des assassins, celle-ci
cherche à comprendre ce qui peut motiver un individu à tuer chaque
lundi et à la même heure, de jeunes femmes par l'emploi d'une
neurotoxine directement injectée sous la peau à l'aide d'une
seringue hypodermique. L'enquête s'avère difficile. D'autant plus
que le (ou la) meurtrier(e) change certaines de ses habitudes. Alors
que la première victime a été tuée de dos, les suivantes le
seront de face. Et alors que les trois premières ont été tuées
dans le métro, la suivante l'est dans un quartier de la ville. Là
où Enjeru Dasuto
rejoint parfois certains classiques du cinéma outre-atlantique,
c'est lorsque celui-ci s'inscrit dans une certaine similitude à
travers son ambiance où dans la relation qu'entretiennent certains
des protagonistes. Setsuko Suma faisant ainsi plus ou moins figure
d'alter ego de Clarice Starling du Silence des
agneaux
tandis que le charismatique Rei Aku (Takeshi Wakamatsu) peut être
parfois considéré comme celui du docteur en psychiatrie, Hannibal
Lecter. Une comparaison osée, certes, mais lorsque l'on sait que
trois années seulement séparent les deux œuvres, l'on est en droit
de se demander dans quelles proportions le réalisateur et le
scénariste japonais pourraient s'être tous les deux inspirés du
classique de Jonathan Demme...
On
ne pourra cependant pas leur reprocher d'avoir ensuite plagié
certains des aspects visuels et sonores de Seven
de David Fincher puisque cet autre classique du thriller américain
vit le jour postérieurement à la sortie de Enjeru
Dasuto.
Mais plutôt que de se contenter de dérouler le récit de manière
académique, Gakuryū Ishii préfère agir à sa façon. Convoquant
le directeur de la photographie Norimichi Kasamatsu ou le compositeur
Hiroyuki Nagashima, le cinéaste déploie un concept qui ne s'arrête
pas aux portes de l'éternelle traque du tueur par la police mais ose
aller bien plus loin en évoquant le passé trouble de son héroïne,
laquelle semble malgré elle rattachée au personnage de Rei Aku.
Ancien maître spirituel d'une secte connue sous le nom d'Église
de la Vérité Ultime,
l'enquêtrice remarque que la première victime du tueur fut l'une de
ses adeptes. Tout comme elle, les suivantes furent le sujet d'une
thérapie de déprogrammation nommée le Psychorium
de Recongélation.
Tout comme Setsuko elle-même, laquelle, en outre, fut un temps la
compagne de Rei Aku. Pour l'héroïne, les retrouvailles avec l'homme
en question ainsi que l'enquête vont chambouler son existence.
Enjeru Dasuto
revêt alors d'autres formes que celle de la simple enquête
policière. Le réalisateur et le scénariste fouillent véritablement
l'esprit de la jeune femme. Forte mais aussi très certainement
encore soumise à l'aura que dégage cet individu décidément
ambigu ! L'originalité de Enjeru Dasuto
se situe donc dans ce rapport entre le ''gourou'' déchu et
l'ancienne adepte. Le long-métrage pousse le curseur très loin dans
sa manière de filmer son intrigue. Un montage à la serpe dont
l'inventivité régale véritablement les yeux et dont l'intensité
est démultipliée par l'immense apport de la musique plus ou moins
industrielle de Hiroyuki Nagashima. Scrutant ainsi les zones d'ombre
de l'âme humaine comme l'aurait sans doute abordée David Lynch si
on lui avait confié les quelques séances d'archives enregistrées
sur support magnétique (des scènes malheureusement trop longues et
finalement plus ennuyeuses que passionnantes). Lorsque le monteur du
film se lance dans une farandole de plans ultra-cut collant
parfaitement au rythme binaire de la musique (incroyable séquence
des diapositives), on sait déjà que l'on est face à une œuvre
beaucoup moins modeste artistiquement qu'elle semble en avoir l'air.
Notons qu'il faut tout de même parfois s'accrocher tant les
ramifications sont nombreuses. Mais si l'on adhère à cette
authentique œuvre d'art où tout élément semble avoir été
scrupuleusement pensé, l'expérience s'avère unique...