Il y a parfois chez Werner Herzog, quelque chose de réellement
déconcertant. Comme lorsque le réalisateur et scénariste allemand
affirme par exemple qu'il n'a jamais rencontré durant toute sa
carrière meilleur acteur que Bruno Schleinstein, dit Bruno
S. Un personnage atypique et dont la sincérité fut certainement due
à plus d'un quart de siècle passé dans des hôpitaux
psychiatriques. Un homme qui au fond aurait sans doute mérité sa
place au sein du casting de Herz aus Glas
que réalisa en 1976 Werner Herzog mais auquel ce dernier préféra
offrir le rôle principal de Jeder für sich und
Gott gegen alle
(L'Énigme de Kaspar Hauser chez
nous) deux ans plus tôt comme si l'authentique histoire de cet
individu étrange découvert par deux hommes au sortir d'une taverne
le 26 mais 1828 à Nuremberg avait existé pour que près d'un siècle
et demi plus tard Bruno S devienne la vedette du simili biopic que
Werner Herzog allait lui consacrer. Nous sommes alors en 1974 et
c'est après l'avoir découvert dans le documentaire Bruno
der Schwarze, es blies ein Jäger wohl in sein Horn
de Lutz Eisholz que Werner Herzog se promet de l'embaucher pour l'un
de ses futurs projets. Sur un plan strictement professionnel et
cinématographique, le cinéaste sera la personnalité ayant eu le
plus d'importance et d'influence dans la carrière de Bruno S puisque
parmi les sept seules œuvres de fiction auxquelles il aura participé
durant son existence, les deux longs-métrages signés de Werner
Herzog demeureront les plus importantes. Car deux ans après Jeder
für sich und Gott gegen alle,
le réalisateur l'engagera à nouveau dans le rôle principal de
Stroszek,
du nom du personnage principa qui sur le territoire français est
sorti sous le titre La ballade de Bruno.
Qui ne connaît pas encore Bruno Schleinstein peut s'étonner de ce
petit homme au regard fuyant et au parler inhabituel. L'on observe ce
qui peut s'apparenter à de la timidité... ou alors à une certaine
forme de méfiance. Mais quel est donc cet étrange objet qui me fixe
et m'imprime sur de la pellicule semble se demander cet acteur, au
fond, si peu étonnant dans la filmographie d'un cinéaste qui
accumula les performances en conviant notamment par cinq fois
l'inquiétant Klaus Kinsi à participer à ses projets parmi les plus
fous ? Contrastant avec la singularité de son nouveau protégé,
l'histoire de La ballade de Bruno
se révèle être en fait, plutôt banale.
Le
récit s'articule autour de Bruno Stroszek, homme d'une quarantaine
d'années qui vient de passer deux ans et demi derrière les barreaux
et qui s'étonne que ses geôliers lui demandent encore, et de façon
si protocolaire, son nom après tant de temps passé en leur
compagnie. Lors d'un échange entre notre héros et le directeur de
la prison, ce dernier fait promettre à Bruno qu'il ne boira plus
jamais de bière, principal déclencheur des nombreux soucis qu'il
rencontra avec la justice. Acceptant de se plier à la demande du
directeur, Bruno se rendra pourtant directement dans le pub le plus
proche pour s'en offrir une ! Y rencontrant par la même
occasion Eva, prostituée maltraitée par deux maquereaux incarnés
par Burkhard Driest et Wilhelm von Homburg. Prenant la jeune femme
sous son aile et la ramenant chez lui (il faut savoir que
l'appartement servant d'habitation au personnage de Bruno ainsi que
tous les objets qui le constituaient étaient la propriété de Bruno
Schleinstein), Bruno va lui-même s'attirer des ennuis. Sans cesse
harcelés par les deux hommes qui se rendent même jusque chez cet
homme afin de l'humilier et détruire une partie de ses biens, Eva et
Bruno prennent la décision de quitter le pays pour se rendre en
Amérique. Aidés par le vieux Scheitz, un voisin de Bruno, le couple
traverse l'Atlantique en sa compagnie afin d'aller vivre près de son
neveu dans le Winsconsin. Là-bas, Eva y travaillera comme serveuse
et Bruno comme assistant dans le garage du neveu de Scheitz. Ce
dernier est interprété par l'acteur Clemens Scheitz, un acteur dont
la très courte carrière se fera essentiellement chez son
compatriote Werner Herzog qui lui offrira un rôle dans chacun des
films cités ci-dessus ainsi qu'en 1979 dans l'excellent remake
Nosferatu - Phantom der Nacht...
Quant à l'actrice allemande originaire d'Autriche Eva Mattes, on la
vit régulièrement chez le compatriote de Werner Herzog, Rainer
Werner Fassbinder, et outre son rôle dans La
ballade de Bruno,
les fans du cinéaste allemand purent la redécouvrir en 1979 dans
Woyzeck
aux côtés de Klaus Kinski. La ballade de Bruno
se partage donc entre deux territoires. Entre Allemagne et
États-Unis, Bruno part à l'aventure avec ses deux compagnons,
lesquels vont connaître des revers de médaille. Le ton est donné
pour cette œuvre dont l'approche relativement naturaliste pourra en
décourager certains. L'on s'éloigne des grandes étendues
verdoyantes, luxuriantes qui chez Werner Herzog nous font
généralement tant rêver pour nous approcher d'un univers beaucoup
plus brut et anxiogène. Pas facile d'aborder le film sans être
parfois convaincu qu'il s'agit tout d'abord d'un caprice de star de
la part de Werner Herzog qui pourtant n'a pas encore connu la
consécration. Le film est loin d'être aussi ''excitant'' que le
premier qu'il offrit à Bruno Schleinstein. La
ballade de Bruno
s'avère assez tristounet, peu engageant et son écriture est réduite
à sa plus simple expression. Un film sympathique, porté par un trio
d'interprètes et par leurs personnages mais qui reste anodin face à
certaines Masterpieces
que
le réalisateur signera très bientôt...