Accompagnant un Bad Lieutenant qu'il signera deux ans plus tard en 1992, en ajoutant même The Addiction réalisé en 1995, le cinéaste new-yorkais Abel Ferrara mettait en scène en 1990 un TheKing of New York ouvrant le bal d'une trilogie d'une exceptionnelle qualité. En fait de trilogie, il faudrait en réalité inscrire à la liste des hommages rendus à un cinéaste underground à sa ville natale, une bonne majorité de ses longs-métrages, à commencer par le crapoteux Driller Killer, jusqu'à certaines de ses dernières œuvres signée dans le courant des années 2000 en passant par Fear City ou encoreMS.45. TheKing of New York est de ces longs-métrages qui à la sortie de leur projection demande quelques instants pour sortir totalement du contexte dans lequel ont été plongés durant plus de cent minutes ses personnages ainsi que les spectateurs. Accompagné des fidèles Nicholas St. John au scénario et de Joe Delia à la bande-son, le cinéaste originaire du Bronx signe une œuvre dont l'intensité dramatique culmine lors d'expositions nocturnes sublimées par la photographie du monténégrin Bojan Bazelli. La noirceur de l'intrigue et le désespoir dans lequel baigne le récit ouvre des perspectives à un Abel Ferrara coutumier du fait et qui installera au panthéon du film policier nihiliste, un Bad Lieutenantcrépusculaire.
Le roi de son New-York, de cette cité à laquelle est demeuré fidèle Abel Ferrara, sort de prison, déchu de son titre depuis sa cellule par des organisations criminelles mexicaines ou chinoises qui ont su profiter de son absence pour mettre la main sur le trafic de drogue vérolant une cité où les enfants ne sont pas les dernières des victimes. De la poudre blanche, d'abord, mais également de la prostitution. Une vision que ne partage pas Franck White, admirablement interprété par Christopher Walken dans l'un de ses meilleurs rôles. En total décalage, le spectateur assiste à la reconquête d'un territoire par un individu qui, accompagné de ses fidèles lieutenants (dont le génial Laurence Fishburne, dans la peau de Jimmy Jump), dessoude un à un ses principaux rivaux. Face à cette montée de la violence dont Franck a la judicieuse idée d'expliquer au flic Roy Bishop (excellent Victor Argo) que durant son incarcération, elle n'a pas cessé d'augmenter, Abel Ferrara oppose un flic tenté de se corrompre lui-même devant l'inefficacité de la justice acceptant l'argent sale de Franck contre la libération de Jimmy et de ses hommes de main.
TheKing of New York possède une force incroyable. Sa mise en scène, l'interprétation, la photographie ainsi que la bande-son en font un monument glaçant, jamais opportuniste (chaque action étant légitimée), mais que d'aucun pourra juger de partiale dans le portrait d'un Franck Black érigé en héros comme le sera le flic corrompu de Bad Lieutenant. D'ailleurs, en regardant bien, sous certains aspects, les destins de ces deux héros de fiction possèdent des trajectoires à peine distinctes. Deux lignes parallèles opposant le flic à la vermine, deux individus poussés par une volonté semblable de réussite, avec plus ou moins d'ambition (entre les paris ratés de l'un et la conquête du réseau de drogue de l'autre), mais une réussite fort inégale puisque à sens unique. Abel Ferrara ne voulant apparemment pas faire l'éloge ou l'apologie de l'un ou de l'autre, il leur réservera un sort similaire. Christopher Walker y est formidable de justesse et de charisme, affichant un visage blafard qui ne cessera de s'assombrir à l'image du récit. Le cinéaste lui oppose un David Caruso auquel le spectateur demeurera éminemment plus réceptif envers le personnage de Dennis Gilley qu'à son amorphe interprétation de flic de la police scientifique de la série télévisée Les Experts Las Vegas. Vengeance, trahison, exécutions sommaires ou bien gunfights sous perfusion de musique rap, TheKing of New York est l'un des trois plus grandes œuvres de leur auteur. Une magistrale leçon de cinéma... a voir, à revoir, encore et encore...